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En finir avec le mot « blédard »

Par Bondy Blog | Publié le 11/04/2024

Dans la communauté franco-maghrébine, la figure du « blédard » fait souvent office de moquerie. Un mot en apparence inoffensif qui cache pourtant des réalités complexes. Anatomie d’un mot.

Rares sont les mots en -ard à la connotation positive. « Blédard » n’échappe pas à la règle. Après un aller-retour entre les deux côtés de la Méditerranée (il a servi à désigner un soldat français déployé au Maghreb, puis un Maghrébin immigré en France), le mot décrit aujourd’hui toute une série de stéréotypes.

Un jeune harraga en claquettes qui répète « cigarettes, cigarettes » à la sortie du métro. Un chibani, veste d’un costume une taille trop grande, moustache grise et bonnet de travers. Une femme gouailleuse, trop vénère, trop présente. En général, une personne fraîchement arrivée en France, aux manières et à l’accent encore bruts.

L’accent blédard, justement, presque une langue à part entière. On reconnaîtrait ses sonorités entre mille. À son paroxysme, les « i » et les « é » se confondent, le « b » remplace le « p », le « r » rrroule contre le palais. Les expressions françaises désuètes y sont une éloquence. Ce parler là, pourtant, flatte rarement l’oreille. Si l’accent anglais incarne la classe, l’italien le charme et l’espagnol la sensualité, on attribue à celui du bled une forme de naïveté un peu rustre.

Les rires, les railleries, la condescendance même, ont sali sa grâce. Il n’en reste pas moins l’accent du courage : celui de quelqu’un qui ose parler une langue qui n’est pas la sienne. Les blédards l’ont tous, ce courage. Sans exception. C’est même leur seul vrai point commun, cette force d’avoir su un jour se déraciner d’une terre pour chercher à fleurir sur une autre.

Entre racisme et mépris de classe

« Est-ce que vous savez tous les sacrifices qu’on a dû faire pour venir ? Est-ce que vous connaissez cette douleur de laisser vos parents pleurer derrière vous à l’aéroport, en leur disant au revoir, ne sachant pas quand vous allez revenir ? » Dans sa vidéo postée sur ses réseaux, le créateur de contenu Iyas Begriche, ou Iyasoony, résume en une image la réalité déchirante, trop souvent oubliée, de ceux qu’on appelle blédards. Arrivé en France il y a sept ans, le jeune homme plaide pour un autre usage du mot. « Il n’y a rien de péjoratif en soi dans ce mot, tout est question de contexte. »

Lorsqu’il qualifie un accent ou des difficultés d’adaptation à la vie occidentale, il est utilisé pour humilier

Ce qu’il y perçoit parfois, une forme de mépris de classe, à la sauce raciale. Un dénigrement de ceux qui ne témoignent pas du supposé raffinement de la civilisation à l’européenne. « Lorsqu’il qualifie un accent ou des difficultés d’adaptation à la vie occidentale, il est utilisé pour humilier. » Il raconte alors sa propre confrontation au mot blédard. « On entend ça dès notre arrivée, de manière très crue et directe », décrit-il. « Au début, on en rigole, on se dit que c’est sur le ton de l’humour, mais on se rend vite compte que ça peut varier. Et on finit par apprendre à vivre avec. » 

Le mot « blédard » dissimule selon lui une réalité plus complexe qu’il n’y paraît, et une qualité. « Les blédards sont débrouillards par la force des choses », explique-t-il. « Ils arrivent d’un autre pays. Il faut avoir la force de surmonter les obstacles et il y en a beaucoup. » Toute une diversité de parcours se trouve essentialisée derrière ces quelques lettres. « On ne vient pas par hasard dans un pays étranger, on vient pour les études, pour se marier, pour travailler ou fuir quelque chose… Il y a des histoires derrière ce mot. »

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